L’échec… Cet ennemi sournois, sans panache. Sombre. Je pense qu’au rayon des hantises des sportifs de haut niveau, et d’une grande partie de la population française – notre culture n’y est pas étrangère – l’échec tient le haut du panier. L’échec ce diable qui vient écorcher notre ego. Et quoi de plus susceptible d’être fragile dans le sport de haut niveau où l’excellence est constamment recherchée que l’ego. Qui plus est dans le cadre d’une société où la réussite, celle qui se voit, est érigée en modèle absolu. Sans jamais parler des échecs passés, des moments de galère, des traversées du désert, et en faisant croire à coups d’articles brillants que les « winners » sont destinés à toujours gagner et réussir et les « losers » à perdre.
Je voudrais donc, au moment de parler de l’échec, commencer par tordre le cou gentiment à la réussite. Car cette dernière est tout aussi fragile que nos egos. Nous travaillons tous pour la savourer, mais cette dernière ne peut pas exister sans le fameux échec. Ce dernier ne devrait plus être vu comme une honte, mais comme une expérience qui nous permet de nous réajuster, de trouver comment améliorer notre technique, comment être plus aligné et pouvoir cheminer le plus efficacement possible vers notre objectif (voir l’article sur les objectifs). Par ailleurs, les gens qui échouent ne devraient jamais être vus comme des êtres faibles, ils devraient être considérés comme des gens courageux qui ont tenté quelque chose. La force de caractère naît dans cette faculté à ne pas se laisser miner par l’échec mais à travailler encore pour vivre le bon moment que l’on recherche. Et puis, quelle naïveté et malhonnêteté intellectuelle que de considérer l’échec comme anormal. Comme si Roger Federer ou Rafael Nadal, qui font partie des meilleurs tennismen de l’histoire de ce sport n’avaient jamais vécu de moments galère et de défaites. Pour rester dans le domaine du tennis, Stanislas Wawrinka a pour mantra cette citation de Samuel Beckett : « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Pour mémoire, Stanislas Wawrinka a connu des galères, a mis du temps à arriver là où il voulait être, et nous parlons ici d’un très grand joueur, vainqueur de trois Grand Chelems dans sa carrière, dont un Roland-Garros en 2015.
Il serait intéressant d’avoir une vraie culture de l’échec en France. Arrêter d’enfermer les athlètes dans des cases mentales qui leur font beaucoup de mal. « Le nouveau Poulidor », « le champion de l’entraînement, « l’éternel espoir », « le loser magnifique ». Travailler sur le rapport à l’échec n’est pas une mince affaire, et le préparateur mental peut être un précieux soutien pour un sportif qui aurait tendance à se laisser happer par sa peur de l’échec (lire l’article sur la peur). Au-delà de l’image renvoyée par l’échec, considérer l’absence de réussite comme un terreau fertile n’est pas quelque chose d’aisé, surtout lorsque l’on est seul face à ses doutes. Mais il s’agit selon moi de l’une des clefs pour le sportif de haut niveau qui souhaite performer sur le long terme. Sinon, il est assez facile de perdre l’envie, la rage de vaincre et d’autres ingrédients indispensables pour performer.
Au final, l’échec est-il payant ? Il le sera, j’en suis persuadé, s’il n’est pas vécu comme une honte, comme un traumatisme. S’il ne déséquilibre pas une estime de soi un peu trop en souffrance. S’il est vécu comme tel et qu’il atteint notre moral, il n’y a pas non plus de sentiment de faiblesse ou de honte à avoir car c’est quelque chose d’humain, qui peut se gérer (selon le degré avec un préparateur mental, sinon avec un psychologue). Cela peut même faire partie d’un superbe travail de résilience qui permet à partir d’une déception de revenir plus fort. Même si la théorie est toujours plus facile que la pratique, gardons toujours en tête que nos échecs sont les matériaux qui nous permettront d’affûter nos flèches afin de, plus tard (et pas forcément dans 10 ans), pouvoir piquer la cible avec un geste plus sûr, plus serein, et rayonner grâce à quelque chose qui semblait avoir la valeur d’un billet de monopoly, mais qui, en réalité, valait plutôt une pépite d’or.